Hamilton
Dans les yeux de la 2ème escadre de chasse
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Episode 1
Il est un peu plus de 20 heures, heure locale, quand cinq Mirage 2000-5 en configuration de supériorité aérienne (deux bidons, deux MICA IR et quatre MICA EM) roulent lourdement sur les taxiways de la base aérienne 116 de Luxeuil-Saint-Sauveur. Le parking est éclairé et, superbement alignés, les mécaniciens saluent les pilotes qui partent en vol. Tous partagent des sentiments étrangement mêlés : la fierté d’avoir mis en ligne le matériel réclamé, l’orgueil d’appartenir à un groupe uni qui a su relever le gant, mais aussi l’angoisse et la crainte que ce salut ne soit le dernier. Nous sommes le 13 avril 2018 et l’opération Hamilton débute.
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Depuis plusieurs bases françaises, des avions décollent pour s’assembler en un vaste dispositif qui a pour but de frapper des cibles au cœur de la Syrie en réponse aux attaques chimiques perpétrées par le régime dans l’enclave de la Ghouta. De Saint-Dizier, des Rafale de la 4e et de la 30e Escadre de Chasse armés de SCALP vont rejoindre des ravitailleurs C135 partis de Istres quelques dizaines de minutes plus tôt. Ils seront accompagnés par deux E3F qui doivent servir de centre de commandement aéroporté. Il s’agit d’une mission d’entrée en premier (« Entry force ») comme en a déjà réalisé l’Armée de l’Air, sauf que cette fois-ci, l’opposition dresse devant elle des systèmes défensifs sol-air et air-air de dernière génération. Pour tous, c’est un départ vers l’inconnu.
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Le rôle des Cigognes ne diffère pas de leurs missions habituelles puisque les -5F doivent agir comme « Air Defence Package Leader » (ADPL), c’est à dire en charge du schéma de protection du dispositif français. Ils sont épaulés par les contrôleurs spécialisés embarqués dans les AWACS et doivent fournir une couverture tant aux strikers [bombardiers] qu’aux HVAA (High Value Air Assets, les tankers et E3F) qui resteront en arrière. De ce point de vue, la phase de préparation du « game plan » n’avait rien de révolutionnaire puisque les pilotes impliqués s’appuyaient sur le domaine d’expertise de l’unité, d’autant plus que des missions de ce type en situation réelle avaient déjà été menées pendant Harmattan. La seule nouveauté résidait dans cette projection très lointaine avec un parcours total d’environ 7 500 km.
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Pour les mécanos présents ce soir-là, c’était l’aboutissement d’un travail débuté près d’une semaine plus tôt. La base toute entière s’était mise à la tâche afin qu’à l’instant T, cinq Mirage 2000-5 soient prêts, en parfaite condition, leurs pilotes entièrement équipés, pour agir. Dans le souvenir de tous ceux qui ont été impliqués, cela reste un moment fort, celui d’une grande cohésion entre les différentes spécialités et les navigants, tous focalisés sur la réussite de la mission. La BA 116 et la 2e Escadre de Chasse forment une petite entité, finalement très discrète au milieu du bond technologique que connaît l’Armée de l’Air. La 2, c’est moins d’une trentaine de pilotes et trois cents mécaniciens, tous fiers d’appartenir à cette « secte ». On est de la 2, de son histoire, de ses valeurs portées avec fierté et honneur, on bombe le torse car c’est une unité qui agit avec dignité et répond toujours présente, dans la discrétion.
En ce 13 avril 2018, il ne pouvait en être autrement.
Les pistards, individuellement choisis par les pilotes pour procéder aux départs, ont certainement fait leur travail avec une attention redoublée. Non, triplée ! Ils devaient avoir le cœur dans la gorge, une forte tension dans les muscles, une sourde inquiétude à l’âme. Quand ils ont accueilli leur cocher, ils l’ont fait avec gravité, d’un air résolu. Les pilotes étaient concentrés, très concentrés, déjà dans leur mission. Avares de paroles, ils ont suivi leur technicien autour de l’avion, la mâchoire serrée, l’esprit dans l’instant présent. Une étape après l’autre pour ne pas refaire et défaire une mission déjà si souvent répétée dans la tête.
Chacun des cinq pilotes connaît le « game plan », mais seuls quatre d’entre eux le réaliseront. Le cinquième, un chef de patrouille expérimenté, rebroussera chemin avant la Corse si aucun des quatre autres n’annonce de panne. Il part comme s’il devait aller au bout. Il faut être prêt. Leur travail, cette mission, c’est la conclusion d’une période studieuse et de fusion de l’équipe.
La préparation a été dense. A travers la France entière, les unités concernées se sont investies dans la mise en place du schéma de l’opération. A Saint-Dizier, à Avord, à Istres, les pilotes de Rafale, de tankers et d’AWACS sont à l’œuvre. Des centaines de personnel et probablement plus, ont contribué à la bonne marche de l’ensemble. Il a fallu hausser le rythme pour que les machines soient prêtes, les munitions conditionnées et vérifiées. L’institution était pleinement investie. Donc pendant que nos cinq acteurs réfléchissaient à leur préparation et aux diverses modifications qui arrivaient des échelons supérieurs, les autres pilotes ont prêté main forte pour tout le reste, de la vérification des équipements jusqu’aux paquetages de survie, l’armement ou même les bouchées alimentaires. Cette implication de chacun a été un renfort moral et intellectuel pour les acteurs directs de la mission. Ils étaient ceux qui agissaient au nom d’un collectif.
Cinq pilotes. Au final, le travail de centaines de personnes sur la base, des gendarmes chargés de sécuriser l’enceinte aux secrétaires en passant par les cuisiniers, les mécanos, les fusiliers de l’air, l’avitaillement et tant d’autres spécialités, se résumait à la capacité de ces cinq pilotes à assurer leur rôle et réussir la mission. Toute la confiance et le soutien de la BA 116 sont tournés vers ces cinq hommes qui roulent doucement jusqu’au point d’arrêt.
Quelques minutes plus tard, cinq dards de lumière éclairent la campagne luxovienne dans un grondement de tonnerre. L’un après l’autre, les deltas s’arrachent à la piste, cap au sud.
C’est parti.